La grande entourloupe by Roald Dahl

Auteur:Roald Dahl [Dahl, Roald]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Nouvelles
ISBN: 207037520X
Éditeur: Gallimard
Publié: 1965-06-15T00:00:00+00:00

Le dernier acte

Anna se trouvait à la cuisine et lavait une laitue pour le repas du soir quand soudain on sonna à la porte. Le timbre lui-même était fixé au mur, juste au-dessus de l’évier, et lorsque Anna se trouvait à proximité et que quelqu’un sonnait, elle ne manquait jamais de sursauter. En conséquence, son mari et ses enfants évitaient d’utiliser la sonnette. Cette fois sans doute avait-on sonné particulièrement fort, car Anna fit un bond particulièrement brusque.

Elle ouvrit la porte et se trouva face à deux agents de police. Ils l’examinèrent, blêmes et impassibles, et elle les examina à son tour, attendant qu’ils se décident à parler.

Elle les examinait toujours, mais ils restaient sans parler ni bouger. Ils se tenaient tellement immobiles, tellement raides, qu’on eût dit deux mannequins de cire déposés sur le seuil par un mauvais plaisant. Ils avaient tous les deux retiré leurs casques qu’ils tenaient plaqués à deux mains sur leurs poitrines.

« Qu’est-ce qui se passe ? », demanda Anna.

Ils étaient tous deux jeunes et portaient des gants de cuir qui leur gainaient les bras jusqu’aux coudes. À l’arrière-plan, elle apercevait leurs énormes motocyclettes appuyées au rebord du trottoir ; des feuilles mortes tombaient autour des motocyclettes et fuyaient le long du caniveau, tandis que la rue tout entière semblait luire dans la lumière jaune d’une claire et venteuse soirée de septembre. Le plus grand des deux agents se dandinait d’un pied sur l’autre, l’air embarrassé. Enfin il demanda d’une voix calme : « Êtes-vous Mrs Cooper, m’dame ?

— Oui, c’est moi.

— Mrs Edmund J. Cooper ? insista l’autre.

— Oui. » Ce fut alors que, lentement, commença à s’imposer à elle l’idée que ces hommes, qui ni l’un ni l’autre ne semblaient très pressés d’expliquer la raison de leur présence, ne se seraient pas comportés de cette façon s’ils n’avaient été chargés de quelque désagréable mission.

« Mrs Cooper », disait maintenant l’un d’eux, et à la façon dont il parlait, avec la gentillesse et la douceur qu’il eût mises à consoler un enfant malade, elle devina aussitôt qu’il allait lui annoncer quelque chose de terrible. Une énorme vague de panique la submergea et elle dit : « Qu’est-il arrivé ?

— Nous avons le devoir de vous informer… »

L’agent s’interrompit, et la femme, qui ne le quittait pas des yeux, eut l’impression que son propre corps se ratatinait, se ratatinait chaque seconde un peu plus à l’intérieur de sa peau.

« … que cet après-midi à environ cinq heures quarante-cinq, votre mari a été victime d’un accident sur l’autoroute de l’Hudson River, et qu’il est mort dans l’ambulance… »

L’agent sortit le portefeuille en crocodile qu’elle avait offert à Ed à l’occasion de leur vingtième anniversaire de mariage, deux ans plus tôt et, avançant la main pour le prendre elle se surprit à se demander si, tout à l’heure encore au contact de la poitrine de son mari, il ne garderait pas un peu de sa chaleur.

« S’il y a quelque chose que je puisse faire, disait l’agent,

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